Droit et prix, Elian. Ce sont les régisseurs de notre monde. Tout droit se gagne, et tout acquis le reste au prix de certains efforts. Le droit de continuer à porter fièrement le nom Arie, le droit de porter l’épée comme ton père le fait et le droit de le revoir: au prix de tes efforts, et au prix de l’ascension. Headon va bientôt t’appeler, je le sens. Alors retourne t’entraîner.

Mère. Il n’y a pas si longtemps qu’elle m’avait gratifié de ses mots, et c’est au prix de mon expérience que j’avais gravé son conseil dans la roche de ma mémoire: il serait éternel. Car, même au sein de la Famille Arie, l’une des 10 grandes familles de la tour, le verbe de Mère forçait le respect tant il se faisait rare, et à chaque fois chargé de sens et de vérité. Une sage parmi ceux aux cheveux blancs. Les jours qui suivirent, elle se tut. Seulement des signes de tête et des regards. A la fin de la semaine, j’étais appelé, et je ne la reverrais qu’au 98ème étage.

Naître au sein d’une des 10 familles peut sembler être un privilège, mais la vérité n’est pas si simple que ça. Je ne sais pas ce qu’il en est des autres, voilà bien longtemps que je n’avais pas croisé de Khun, mais chez les Arie, l’image de la famille prévalait. Et notre image, c’était celle de guerriers élégants, éduqués, puissants et vertueux. L’éducation reçue est donc à la hauteur de ces attentes: strictes, implacables. Les bonnes manières, le combat, qu’il soit à l’épée au prix de douloureuses leçons d’escrime, ou à la main, étudiant les arts martiaux dans lesquels je me démarquais par mon agilité et ce malgré ma taille. Tous les jours de ma vie, jusqu’à que l’appel arrive. Pendant les rares pauses, l’éducation se faisait mentale. L’esprit se doit d’être la plus affutée des lames, m’a-t-on dit. Alors place à l'affûtage, en apprenant. L’histoire de la tour, l’histoire de la famille aussi, l’art et la culture, la stratégie et le calcul. Au prix de ces efforts, souvent nocturnes, toujours épuisants, j’ai pu ajouter à mon arsenal une nouvelle arme: la connaissance. J’en aurais besoin.

Parce que la situation ne me convient pas. Pas du tout, en fait. L’erreur, peut-être l’unique qu’ils aient pu commettre, de ceux qui m’ont éduqué fut de m’enseigner la gloire passée des Arie. Je suis né au crépuscule de la guerre, et les marques qu’elle a laissées sur la société, je les ressens au jour le jour. La gloire d’antan vit encore dans la mémoire de ceux qui l’ont connue comme une douce nostalgie, et dans la mienne comme un fantôme que je ne parviens pas à saisir. Pourquoi Hon s’est-il retiré ? Pourquoi a-t-on confié la direction de la famille à ce triumvirat, comme si la charge était trop lourde pour un seul d’entre eux ? Le sacerdoce de succéder à notre plus grand dirigeant, notre fondateur, est un honneur. Si les Arie devaient attendre ma remontée pour retrouver la saveur délicieuse de la grandeur, alors qu’ils attendent. Je couperais court à leurs souffrances le plus rapidement possible. Je me sais fort, et capable, mais il me faudra parfaire mon talent au fil des étages. Gagner des droits, payer des prix. Me montrer impitoyable. Parce que j’ai besoin de savoir, savoir quels furent les tenants et les aboutissants de ce cataclysme, quel fut le rôle des 10 Seigneurs, celui de Headon, et que serait la suite ? Tout ça en portant sur mes épaules le poids du nom Arie, avec plaisir, afin de redorer le blason.

Bien sûr, tout n’est pas que fardeau. J’ai quitté le domaine familial, la beauté, la rigueur et le calme, car je me dois en tant que membre des 10 familles (et à fortiori en tant qu’Arie) de valoir quelque chose. De valoir plus que les autres, d’être une pièce maîtresse sur l’échiquier qu’est la tour, dans cette nouvelle partie qu’est le contexte d’après-guerre. Et si ces devoirs, droits et prix à payer m’incombent, ils existent en moi au côté de mes rêves. Le rêve de maîtriser l’épée comme les élus même au sein de la famille Arie. C’est pour cela que je ne m’autorise pas le port du sabre ou de l’épée, mais seulement de ce Wakizashi droit et que je n’ai jamais vu s’émousser, cadeau de Mère, jusqu’à seulement que ma destinée ne me fasse un signe.

Et celle-ci m’en a fait un, oui, mais qui a failli me faire chanceler. Je pensais, en toute honnêteté, être un Fisherman: j’ai été éduqué pour avoir ma place sur le champ de bataille, pour mener ceux qui oseraient me suivre au combat et vers la victoire. Alors, Scout ? Pourquoi ? Mais, encore une fois, l’esprit a prévalu. Nul besoin de phare, je me devais d’être la lumière des Arie et des braves. Aucun progrès ne saurait être fait si je demeurais tout au long de mon existence sur les sentiers éclairés. Pour progresser, il me faut aller dans le noir. Là où plus personne ne va, où nul n’est jamais allé. Le scout, l’éclaireur, doit éclairer la voie et pour ça je ne peux faire confiance à personne d’autre qu’à moi même. Mes demi-frères et sœurs, Mère… ils devaient savoir quelque chose. Mon agilité, ma vitesse, tout a été cultivé, aiguisé et mis à l’épreuve pour que je sois le prototype même du Scout. Quant à ceux qui me croiraient incapable de combattre, ils seraient amèrement déçus. Je ne me vois pas comme une sorte d’élu, personne ne saurait se mettre au-dessus des lois de la Tour. Mais si personne ne le fait, alors c’est à moi de le faire, non ? Alors suivez-moi. J’ouvre la voie.