Il n'y avait pas plus grand honneur que venir au monde au sein des Dix Familles. Phares généreux de cette tour, elles représentaient les étoiles illuminant le chemin au côté du Soleil incarné par Zahard. Aussi, aux côtés d'un si grande lumière, il y avait forcément une immensité d'ombre. Or nulle ténèbres n'étaient plus profondes que celles des Hendo Lok.

Bloodmadder, un nom auréolé de gloire et d'horreur qu'il ne servait plus de présenter. Le simple fait que ses descendants abandonnaient les privilèges accordés aux Dix familles pour se cacher en disait long sur le personnage. Tsume Inoue, fleure aussi belle que fragile, fut l'une de ces exilés.
Régulière ayant tenté sa chance dans la tour, son destin changea lorsqu'elle rencontra un certain Oran. Mystérieux personnage possédant le fameux titre de Guide, un amour de conte de fée enchaina naturellement les tourtereaux. L'histoire aurait pu s'arrêter là, sans le lourd fardeau qu'elle portait dans son sang. Son impuissance lui interdisant le sursis offert aux Rankers, elle se contenta de la fuite. Rejoindre la Tour extérieur, une mission impossible pour une simple Régulière, un jeux d'enfant pour un Guide.

Maho naquit donc dans un monde à part. Un village montagnard baigné par quatre saisons fut son foyer, fils de la Sorcière fleurie, surnom affectueux dont les autochtones affublaient sa mère. Nulle mention de Zahard, des Dix Familles, où du fameux Headon dans cet univers, sinon peut-être dans les histoires merveilleuses offertes au coin du lit.
Notre héros grandit dans un véritable cocon. Les pouvoirs de ses parents suffisant à le protéger des aléas de ces terres, il profita d'une liberté innocente. Certes son père disparaissait de temps à autre, mais il ne réalisa que trop tard que ces intervalles se faisaient de plus en plus longs. Bien entendu, tout paradis ne pouvait être qu'éphémère.

Si l'amour avait momentanément aveuglé Oran, il n'avait pas tout à fait renoncé à ses devoirs de Guide. Inoue se croyait peut-être hors de portée, mais lui savait fort bien que la main de Zahard ne s'arrêtait pas aux frontières de la tour Intérieure. Il était la raison pour laquelle autant de livres parlant de la fantastique Tour de Dieu traina dans la maisonnée. Il fut celui qui insista pour entraîner son fils, malgré les hésitations de sa génitrice. Un guide ne pouvait se bercer d'illusions, et cette différence fondamentale empoisonna petit à petit un amour sincère, jusqu'au jour fatidique du départ.
Maho était alors déjà un homme, il comprit bien évidemment que cet aurevoir cachait un Adieu, cela ne rendit pas l'acte plus aisé. Des pleurs, des accolades, et surtout un cadeau, qui jusqu'à maintenant, ne quittait pas sa taille.
Pourquoi ce départ fut-il important ? Il marquait le début exacte d'une longue et pénible décadence. La solitude était un poison pernicieux, et si la compagnie de son fils lui suffit, au début, il ne pouvait hélas pas combler tout ses désirs. Cela prit plusieurs années, mais la fleur finit par fanée. Quelle ironie que celle qui avait fuit la tour par peur de périr perdit sa lucidité avant de perdre la vie. Pourtant, dans au milieu de sa dépression Inoue eut un moment de grandeur. Pendant un instant ses yeux retrouvèrent leur vivacité, tandis qu'elle serrait son fils dans ses bras. Dans ses mains se tenaient un livre, un Journal intime qu'elle l'invita à lire.

Les confessions d'une vie maudite. Hendo Lok Inoue se révéla alors à son fils dans toute sa tragédie. Une jeune femme banale au final, pleine de peurs et de faiblesses, un être faible dépassé par son destin. Ce fut donc ainsi que l'illusion fut brisée. De fils d'une sorcière exilée il devint héritier d'une des Dix Grandes Familles. Toute cette vie qu'il avait vécu, les amours passagers, les joies et les peines, tout ceci sembla soudain insignifiant, fruits pernicieux d'un mensonge éhonté.
Pourtant, au milieu de ses désillusions, Maho ne perdit pas de vue le pourquoi de cet escamotage. Elle avait simplement voulu l'épargner. Faible et dépassée par sa destinée, Inoue ne pouvait qu'imaginer que son fils serait lui aussi écrasé. Tendresse d'une âme petite, amour d'autant plus grand qu'il était pittoresque. Seulement là fut son erreur. Il ne fuirait pas. Alors même que la lucidité de sa mère s'éteignait, sa volonté à lui s'embrasa. Elle n'avait plus que quatre ans à vivre, et bien il lui montrerait.

Quatre ans pour gravir une montagne, quatre ans pour briser le destin. La chance souriant au courageux, ce fut alors même que Maho s'éveilla à lui-même, que Headon l'emmena sur le chemin de la Grandeur.